Jarmusch nous met tout de suite dans une ambiance fantastique. Dans les premières images, Blake est assis dans le train et attend. Il y a un montage alterné entre l'intérieur et les roues du train, mais jamais on ne voit ni le sol, ni les rails. Les roues sont perdues dans un nuage de fumée, comme si le train volait à travers le ciel. Blake, du fait que l'attente est longue, est dans un demi-sommeill.
C'est le moment où on va pouvoir l'emmener dans un pays imaginaire. De temps en temps il se réveille et regarde à l'extérieur, voit différents paysages : d'abord, une forêt dense, puis une forêt avec des arbres plus parsemés et une diligence, puis un désert, et finalement, une autre forêt avec quelques tipis. Tous les déplacements que va opérer Blake se feront dans la forêt. Pour marquer le temps, Jarmusch change les personnages qui se trouvent en face de Blake. Ils paraissent de plus en plus sauvage, de plus en plus typés, de plus en plus caractéristiques comme les sont les personnages dans les contes de fées. Puis le train passe un tunnel comme il passerait une porte. La caméra monte sur le toit du train et film l'entrée du train dans l'antre du tunnel. Quand le train sort, il est filmé en contre plongée, la caméra est au sol et filme aussi bien le train, que les rails où sont posées les roues du train. Nous avons atterri dans un pays imaginaire.
Le chauffeur, alors que le train roule encore, rejoint Blake et commence à lui parler. Il lui demande s'il a des parents, s'il a une femme, une fiancée, et aussi pourquoi a-t-il fait tout ce chemin pour aller en enfer ? En effet, là où descend Blake c'est proprement dit, un enfer. Blake a trouvé du travail à "Machine : home of the Dickinson metalworks", en tant que comptable, dans une industrie métallurgique. Cette métallurgie est bien le symbole des travaux forcés dansles entrailles de la terre, dans la chaleur et la douleur physique.
Blake est un enfant. Il est fragile, il ne sait pas où il va, ni pourquoi, si ce n'est parce qu'il est écrit sur le papier, qu'il a reçu il y a deux mois, qu'il doit venir. C'est un enfant qui va devoir vite passer à l'age adulte car il est parti de chez ses parents suite à leur décès. Mais il n'est pas sur le bon chemin. Il part droit en enfer sans vraiment le savoir. C'est là qu'il va brûler les étapes et tout va mal se passer.
Dead man se présente donc comme un conte de fées mais où rien ne se passe comme cela devrait. Les parents du personnage principal sont déjà morts. Il avait une vie banale avec une femme dont il va se séparer pour un travail qui ne l'attend plus dans le Far West. Au lieu de partir dans les bois pour passer l'étape de l'enfance à l'age adulte comme dans les contes comme Jeannot et Margot, il va aller dans les bois pour mourir. Tous les éléments du conte sont là, mais sont pris à contre pied.
Bill Blake est l'homonyme du poète William Blake. Nous avons donc déjà la présence de la poésie. Il est en chemin et semble arriver, comme nous l'avons vu, dans un pays imaginaire. Il s'avère, en effet que ce pays imaginaire sera l'enfer. Le chauffeur du train le dit et c'est confirmé par l'aspect démoniaque de mort et de vices de la ville. On nous montre sur tous les murs des milliers de squelettes d'animaux, des os de toutes sortes sont entassés sur le bord de la rue principale où une femme fait une fellation à un homme qui menace de son arme Blake qui regarde ce spectacle, interloqué. Tout est offense aux bonnes mœurs, jusqu'aux chevaux qui urinent sans retenue. Cette unique rue semble ne mener qu'à l'usine de tous les rêves et cauchemars, tel un château de contes de fées, "Dickinson metal works".
Dans les contes de fées, l'ordre veut que William Blake plaise au Roi et puisse ainsi prendre sa fille, qu'ils se marient et vivent longtemps et aient beaucoup d'enfants. Mais il va brûler les étapes.
On peut trouver ici des analogies et des divergences, ce qui fait la force du film de Jarmusch avec le conte du Chat Botté de Perrault. Les parents de trois enfants meurent et leur lèguent leurs maigres biens. Le troisième fils n'hérite que du chat de la famille. Dans son désespoir il pense le tuer, mais le chat va se révéler fort efficace. Il va amadouer le roi au nom de son maître. Le Roi, flatté de tant d'attentions se verra accorder la main de sa fille au maître du chat.
William Blake a bien perdu ses parents et vient à Machine pour travailler pour Dickinson. Mais le seul travail que lui propose ce dernier est "de nourrir les pâquerettes par la racine". Il ne saura le flatter et obtenir de lui ce qu'il désir. Cet homme est une figure qui cumule deux interprétations. C'est à la fois ce roi dont on ne peut rien obtenir, mais c'est aussi ce chef d'entreprise qui domine le monde économique. On retrouve le portrait à son effigie derrière lui dans son bureau, et un ours empaillé, symbole de sa puissance. Ce roi de contes de fées en enfer se transforme en dictateur capitaliste qui s'accorde le droit de vie ou de mort sur tous contrevenant. Il fait sa propre justice.
Dans l'ordre des choses, ayant échoué, il devrait renoncer et rentrer chez lui. Mais dans la logique du film, il a tout dépensé pour venir, donc il part au bar pour se saouler un peu. C'est là qu'il va rencontrer la fiancée du plus jeune fils de Dickinson.
Non seulement il n'a pas eu les bontés du roi mais il va quand même essayer d'avoir la fille. La trame reprend donc bien celle du conte mais au lieu que l'ensemble de l'action et des évènements concourent à une fin heureuse ou du moins morale, nous sommes en enfer et bien que le héros se voit échouer dans toutes ses épreuves, il persévère et continue d'avancer.
Jim Jarmusch à contre-pied, nous fait assister à une descente aux enfers, aux échecs de son héros, à sa marche forcée vers la mort.
Le fiancé légitime les surprend, tue la femme et blesse mortellement Blake qui riposte et tire un coup fatal pour le fils Dickinson. Il va donc devoir s'enfuir. Jarmusch continue à renverser toutes les situations heureuses et les rends dramatiques. William Blake, venu au secoure d'une jeune fille la raccompagne et monte dans sa chambre. Ils couchent ensemble, mais le fiancé absent depuis longtemps reviens à l'improviste. Le fiancé tout amoureux qu'il soit se voit assassiner sa bien aimée et Blake riposte en le tuant. Il se trouve que ce fiancé romantique n'est autre que le fils du roi, Mr Dickinson.